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Le Premier ministre de l'Inde Narendra Modi était en visite en Éthiopie cette semaine. C'est au moins le cinquième État africain que visite cette année le dirigeant du pays le plus peuplé du monde. Depuis quelques années, l'Inde, grande puissance asiatique, membre fondatrice des BRICS et rivale de la Chine dans la région, multiplie les accords et partenariats en Afrique dans tous les domaines. Analyse de cette nouvelle dynamique de la diplomatie indienne en Afrique avec Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l'IRIS et spécialiste des relations afro-indiennes. Il répond à Sidy Yansané. RFI : Jean-Joseph Boillot, si mes comptes sont bons, c'est le cinquième déplacement de Narendra Modi sur le continent, en comptant l’Éthiopie, rien que pour cette année 2025. Au total, il a visité une douzaine de pays africains depuis son arrivée au pouvoir en 2014. Ce volontarisme pour l'Afrique venant directement d'un dirigeant d'une grande puissance mondiale, c'est assez inédit, non ? Jean-Joseph Boillot: Oui, c'est inédit. Même du côté européen. Du côté américain, n'en parlons pas. Pour que quelqu'un comme Narendra Modi, qui n'est pas un grand voyageur, c'est le moins qu'on puisse dire, et qui n'est pas non plus un polyglotte et encore moins en anglais. Donc il y a quelque chose qui se passe, sachant que ce n'est pas Narendra Modi qui choisit ses déplacements, c'est la diplomatie indienne qui est un État dans l'État. Et donc c'est elle qui clairement depuis maintenant trois ou quatre ans, c'est pas vieux, a mis clairement la priorité sur l'Afrique. Ce « quelque chose qui se passe », ça s'appelle la Chine ? Non. Comme souvent, la vie ne se résume pas à un choix, bipolaire ou non. Mais il y a une rivalité, bien sûr, et la Chine est omniprésente en Afrique. Et donc l'Inde, pour être crédible, doit absolument marquer le terrain. Elle a un gros problème de compétitivité à l'exportation et donc il faut relancer la machine industrielle indienne et pour cela, il faut aller chercher des marchés à l'extérieur et notamment sur l'Afrique et en particulier l'Afrique de l'Est, où il y a des communautés indiennes très nombreuses qui sont des traders, des marchands. Pour ceux qui connaissent bien la Tanzanie et l'Ethiopie, il y a des rues entières de commerces indiens encore aujourd'hui. Aujourd’hui encore, vous diriez que l'Inde cherche à rattraper son retard sur son rival chinois en Afrique ? ou alors elle trace tout simplement son propre sillon avec sa méthode ? Les deux, mon capitaine. Sur le plan économique, les deux pays n’étaient finalement pas si éloignés dans les années 90. Et là, il s'est créé un gouffre dans un rapport de 1 à 10. L'Inde est un pays extrêmement pauvre en matières premières, et l'Afrique est le continent des matières premières du XXIᵉ siècle. Il n'était donc pas question de laisser la Chine y aller toute seule. Le produit intérieur brut indien est désormais le troisième du monde en parité de pouvoir d'achat. C'est une grosse puissance économique, avec des conglomérats, des groupes qui sont extrêmement dynamiques et qui font partie maintenant des 100 premiers mondiaux. Les Africains ont tous entendu parler de Tata ou de Bajaj. Ne parlons pas du téléphone mobile où là les deux continents ont complètement fusionné puisque le business model de la téléphonie en Afrique aujourd'hui, c'est celle qui est née avec Airtel en Inde, il y a une vingtaine d'années. Et pourtant, les relations afro-indiennes n'ont rien de nouveau, sous l'angle économique, commercial, mais aussi culturel puisque la diaspora indienne, qui se compte à trois millions sur le continent, remonte à la colonisation quand même… Houla ! Vous êtes jeune ! Ca remonte à bien avant. Dès les IIIe-IVᵉ siècle, vous avez une véritable méditerranée qui se forme dans la partie entre le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Inde. C'est la route des épices, c'est la route du transport des chevaux, etc. Vous avez ensuite une rupture, c'est vrai, au moment de la colonisation du monde par les Portugais, Espagnols, etc. Les Indiens, les Africains et les Chinois vont se trouver pris comme de la main-d'œuvre exploitée par les colonisateurs dans les plantations de café, de thé, etc. Et vous avez là des véritables diasporas indiennes qui suivent les travailleurs des plantations, qui sont des castes marchandes. Vous évaluez la diaspora à 3 millions. Moi je dis, on ne sait jamais combien ils sont. Donc je mettrais plutôt 5 millions d'Indiens qui vivent sur le continent africain aujourd'hui et qui ont gardé, et ça c'est très important, une relation très étroite avec la mère-patrie, car la société de castes en Inde fait que lorsque qu’on naît dans une communauté, on y reste. Qu'est-ce que l'Afrique peut gagner dans ce renforcement avec l'Inde sur tous les plans, qu’ils soient économique, commercial, politique ou historique ou culturel ? L’Inde est un partenaire à la fois suffisamment faible pour ne pas leur mettre la tête sous l'eau, et en même temps suffisamment fort et puissant pour offrir une alternative face aux autres grandes puissances, toujours obsédées par la diplomatie du diktat, « à prendre ou à laisser ». On le voit bien dans l'accord sur les terres rares passé sous l'égide des Etats-Unis en RDC et qui au final se traduit par une perte de souveraineté dans les matières premières du pays. Donc on a une sorte de puissance indienne bénévole qui ne se soucie que des intérêts mutuels et qui essaie d’instaurer un dialogue dans ce cadre. À lire aussiÉthiopie: le Premier ministre indien Narendra Modi en visite d'État à Addis-Abeba |