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Podcast: Invité Afrique
Episode:

Tunisie: quinze ans après, «la révolution a complètement échoué», selon Moncef Marzouki

Category: News & Politics
Duration: 00:04:42
Publish Date: 2025-12-17 05:17:26
Description:

Ce 17 décembre marque le 15e anniversaire de la « révolution du jasmin » en Tunisie. En 2010, dans la ville de Sidi Bouzid, le jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'immole par le feu devant le gouvernorat, après la saisie de ses marchandises par la police. Un geste de désespoir, qui illustre la détresse socio-économique dans le pays et la répression généralisée du régime de Ben Ali, qui sera renversé par une révolte populaire inédite un mois plus tard. L'événement inspire les populations du Maghreb et d'une partie du Moyen-Orient, et donne naissance à un vaste mouvement de contestation : le « Printemps arabe ». Quinze ans après, la Tunisie est désormais dirigée d'une main de fer par Kaïs Saïed. Quel bilan tirer de cette révolte populaire ? Notre grand invité Afrique est l'ancien dirigeant tunisien Moncef Marzouki, premier président élu démocratiquement après la chute du clan Ben Ali, et actuellement en exil. Il répond aux questions de Sidy Yansané.

RFI : Quinze ans après l'immolation par le feu du jeune vendeur Mohamed Bouazizi, quel est l'héritage de la « révolution du jasmin » que son sacrifice a provoqué ?

Moncef Marzouki : Quand on voit la situation actuelle, on se dit que la révolution a complètement échoué parce qu'on est revenu au point de départ, c'est-à-dire à l'ère Ben Ali. Nous avons un président, Kaïs Saïed, qui s'est fait élire à 90% après avoir éliminé tous ses concurrents. Le retour de la peur, le retour des prisonniers politiques, tous les chefs de partis politiques sont soit en exil, soit en prison, etc. Donc on est revenu vraiment à la case départ. Sauf que quelque chose de profond a été instauré ou instillé dans l'esprit du peuple tunisien : le goût de la liberté. À un moment donné, ils ont vu que la liberté de critiquer le président n'était pas dangereuse. Donc quelque chose est resté dans l'esprit des gens et je pense que ça va repartir. Maintenant, ceux qui disent que le printemps arabe c'est la fin ne comprennent rien à rien. Parce qu'en fait, le printemps arabe, il vient juste de commencer.

Sidi Bouzid, à l'époque déjà, faisait partie de ces villes, de ces régions tunisiennes qui disent subir la marginalisation et l'abandon de l'État, « la hogra ». Quinze ans plus tard, est-ce que vous pensez qu'un acte aussi désespéré que celui de Mohamed Bouazizi puisse se reproduire en Tunisie ?

En fait, ça a continué. La Tunisie est devenue malheureusement un pays où cette horreur absolue se répète tout le temps. Vous parlez de cette région déshéritée, mais toutes les régions de Tunisie sont restées déshéritées. Donc, au contraire, la Tunisie est en train de s'appauvrir chaque jour de plus en plus. Les classes moyennes sont en train de s'appauvrir. Le pouvoir actuel se retrouve exactement dans la même situation où se trouvait Ben Ali, à savoir qu’il a contre lui les classes les plus aisées parce qu’il leur a retiré toutes les libertés fondamentales sans apporter quoi que ce soit à la population et contre la pauvreté. Donc toute cette énergie contenue aussi bien chez le petit peuple, comme on dit, que chez la bourgeoisie, tout cela va exploser. Voilà encore une fois pourquoi le volcan va de nouveau exploser.

Un volcan, dites-vous, d’abord provoqué par le sacrifice de ce jeune vendeur, qui dénonçait non seulement l'extrême précarité socio-économique de la jeunesse tunisienne, mais aussi l'asphyxie des libertés à tous les niveaux. Sur ces deux points, quelle évolution notez-vous entre la présidence de Ben Ali et celle de Kaïs Saïed, contre qui vous concentrez les critiques ?

Les trois années où j'étais à la tête de l'État, nous avons vraiment mis en place un État de droit. La justice était indépendante, les libertés étaient respectées, il n'y avait personne dans les prisons pour des motifs politiques. Nous avons même commencé à lutter contre la corruption. Sauf que comme il y avait ce que j’appellerais un « veto régional » sur la démocratie en Tunisie et que nous manquions d’appui dans les démocraties occidentales, malheureusement, la révolution a échoué. Elle a échoué à cause des erreurs que nous avons commises, nous Tunisiens. Mais aussi, encore une fois, à cause de ce veto régional, essentiellement algérien. Le voisin algérien était une dictature corrompue et violente. Il était hors de question pour elle d'accepter un État, une démocratie tunisienne qui aurait pu donner le mauvais exemple si je puis dire. Et les généraux algériens avaient raison de se méfier de la révolution tunisienne, parce que le Hirak en 2019, c'était tout simplement la queue de la comète, c'était la continuation de ces révolutions. Tout le système politique arabe, aussi bien en Égypte que dans les Émirats arabes unis, en Arabie saoudite qu'en Algérie… Tout ce système-là se sentait menacé par cette vague de révolutions. Ils ont mis le paquet pour faire avorter ces révolutions. Ils l'ont fait avorter par la guerre civile en Syrie, par le coup d'État militaire en Égypte, par la guerre civile en Libye, par l'utilisation de l'argent sale, de l'information, de la désinformation et du terrorisme en Tunisie. Donc, il y a eu encore une fois un veto régional contre les révolutions démocratiques arabes.

Le président Kaïs Saïed a su s'attirer les faveurs de l'Union européenne, notamment sur le volet migratoire. L’Europe est quand même un grand partenaire de la Tunisie. Comment voyez-vous l'évolution de la Tunisie sur les droits humains, la démocratie dans ce monde qui est en pleine redéfinition ?

L'attitude des Européens, je ne peux pas dire que ça leur fait grand honneur. Ils appuient des dictatures, notamment le gouvernement italien, ils sont prêts à aider Kaïs Saïed à se maintenir au pouvoir. Ce sont des politiques de courte vue. On n'a pas arrêté de répéter à nos amis européens : « Vous pariez sur des régimes autoritaires, uniquement pour vous en servir comme gardes-frontières ». Mais ce n’est pas ça la solution. La solution, c'est qu'il y ait du développement social et économique. C'est comme ça qu'on règle le problème de fond. C'est pour ça que je dis et je répète, la démocratisation du monde arabe, c'est une affaire à l'intérieur du monde arabe et qu'il ne faut pas du tout compter sur les pays européens pour nous aider à cela. À part quelques déclarations hypocrites, je pense qu'il n'y a rien à espérer.

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