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La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest « rejette catégoriquement le chronogramme de transition » en Guinée-Bissau. Lundi, l'organisation régionale a confirmé son désaccord avec la durée de la période d'exception proposée par les putschistes. La semaine dernière, la junte au pouvoir a adopté une charte de transition de 12 mois, jugée trop longue par la Cédéao. Dans son compte-rendu final, l'organisation a rappelé son intransigeance face au coup d'État militaire à répétition dans la zone, et s'est félicitée de la riposte régionale immédiate face à la tentative de putsch au Bénin. Le politologue béninois Mathias Hounkpe, membre de l'Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique, livre son analyse. Il répond aux questions de Sidy Yansané. RFI : Dans son communiqué final, après la clôture du sommet, la Cédéao condamne fermement le coup d'État en Guinée-Bissau. Mais surtout, elle rejette catégoriquement le chronogramme de transition de douze mois, annoncé par la junte. Comment vous analysez cette position ? Mathias Hounkpe : Etant donné que personne n'avait rien à reprocher au processus électoral, ça veut dire que si on le veut aujourd'hui, même dans un délai de trois mois, au plus six mois, on peut organiser les élections. Et donc je pense que cette posture de la Cédéao est plutôt, de mon point de vue, la meilleure posture qu'elle pouvait avoir. C'est une posture qui diffère par rapport aux multiples coups d'État qu'on a pu constater dans la dernière décennie ? Pour les autres coups d'État, la Cédéao était plutôt dans la posture non seulement de condamnation, mais de négociation avec les auteurs des coups pour décider de la durée. Cette fois-ci, même si la durée fixée par ceux qui ont fait le coup d'État est relativement courte, la Cédéao estime quand même qu’il faut organiser les élections dans un délai encore plus court. Dimanche, à l'ouverture du sommet, le président de la Commission, Omar Alieu Touray, a affirmé que le coup d'État empêché au Bénin a montré concrètement l'importance de la solidarité régionale. Et pourtant, quelques jours avant, il concédait que la Cédéao était « en état d'urgence », notamment à cause des putschs à répétition… Ce qui s'est passé au Bénin, ça a été une surprise pour quasiment tout le monde. Nous ne sommes pas habitués à ce genre de réaction de la part de la Cédéao en cas de tentative de coup d'État. Donc le président de la Commission Omar Touray a été lui aussi obligé de reconnaître qu’il ne s'attendait pas à ce genre de réaction. Même s'il se contredit, les faits étaient si inattendus qu’il a dû en tenir compte dans son analyse lors du Sommet. Vous considérez que cette intervention militaire régionale illustre un nouveau paradigme de la Cédéao ? Ou alors c'est une exception, du fait de la proximité avérée du dirigeant béninois avec ses homologues nigérian, ivoirien et français, ce dernier ayant d'ailleurs reconnu avoir apporté un appui logistique ? Quand vous lisez le compte-rendu de cette session, la Conférence des chefs d'État et de gouvernement charge la Commission de la Cédéao de proposer un cadre permettant une intervention rapide en cas de coup d'État. Ça veut dire que même si le 7 décembre 2025 était une exception, désormais la Cédéao est consciente qu’il est possible, si on est préparé, d'intervenir rapidement pour empêcher les coups d'État d'aller à leur terme. En revanche, aucune mention des changements constitutionnels en série ou des opposants écartés lors des élections, comme en Côte d'Ivoire, en Guinée, au Bénin, pour ne citer qu'eux. Ce sont pourtant les principaux arguments qui sont utilisés par les militaires pour justifier leurs coups de force ? Quand je lis correctement le compte-rendu, je vois de manière implicite la reconnaissance par les chefs d'État et de gouvernement des problèmes dans la sous-région en matière de respect des droits humains et d'organisation d'élections inclusives et compétitives. Rappelez-vous des événements récents en Tanzanie. Ce n'était pas un coup d'État. On a parlé de plus de 700 morts dans les manifestations parce qu'une bonne partie de la classe politique a été exclue du jeu électoral et démocratique. Si l’on veut la paix et la stabilité de la sous-région, il faut non seulement condamner les coups d'État et prévoir des mécanismes pour les empêcher, mais il faut également éviter les situations où on pourra jouer avec les libertés et droits fondamentaux des citoyens et créer des conditions d'élections non inclusives et non compétitives. Pourtant, de manière explicite, la Cédéao prend note des élections passées en Côte d'Ivoire, celles à venir au Bénin et salue la présidentielle prévue à la fin du mois en Guinée, alors même que dans ces trois pays, des opposants d'importance ont été écartés, emprisonnés ou exilés. N’est-ce pas là une contradiction majeure ? Je dirais que la Cédéao cherche par des voies diplomatiques à dire les choses sans vraiment les dire. C’est très important d’avoir mentionné dans ce même compte-rendu le rejet des récents coups de force et la nécessité d'organiser des processus électoraux inclusifs et compétitifs. Je suis resté un peu sur ma faim, justement, car de la même manière que les dirigeants chargent la Commission de créer un cadre permettant une intervention rapide en cas de coup d'État, je me serais attendu à ce qu’ils la chargent également de prévoir des mécanismes permettant d'interpeller les pays dans lesquels on pratique l'exclusion en matière électorale et où on réprime les libertés et droits fondamentaux des citoyens. |